Silence eL Bruit
T rad uctio n: Maria Leonor Loureiro
Ro11E1no ROMA NO
Professeur de
l'Université de Campinas - UNICAMP Dept. de Philoso p hie
Adresse
electronique: romanor@uol.com.br
N
otre fin de siecle est plongée dans une cacophonie invraise mblable. L'exces de bruits et le vacarme gênent l'écoute et l'entendement.
Le vertige de
la "vitesse de
N
|
communication"
et 'l e ngoue
ment pour les moyens
éléctroniques
sophistiqués de communication semblent faire perdre Ie gout de la réflexion et le
sens de la critiq ue. On se gave de b la -
bla-bla et
l'on s' imagine avoir pensé ou compris. Les
silences de la réfléx.íon
sont souvent associés à
l' omission ou à l'ignorance. Le
bourdonnement ininterrompu est pris pour de l'activité et
de l'érudition. La distance
critique de 'l iro nie,
de la satire,
de la caricature de l'abusif et de
l'inadmissible semblent se perdre dans l'édat des feux du 20eme siede occultant le rayonnemem des Lumie res. Robeno Romano s·appuie sur Diderot pour produire une analyse ponderée
et puissante du pouvoir du silence et du
sens des sons. L' a uteur, professeur de philosophie politique à J'université de l' Éta t de São Paulo à Campinas
(Brésil), est issu d'une longue
tradition de pensée universitaire brésilienne liée à la philosophie
critique de l'histoire et du langage. Le theme de la satire, recours et refuge pour la pensée indépendente dans un monde en proie à la démagogie publicitaire et politique, lui offre, sur la scene
du Neveu de Rarneau, un forum exceptionnel de débat et de critique
du sens et du non-sens dans le dit et dans le no n-dit.
Huit chapitres marquenl 'l itiné raire parcouru para Robeno
Ro ma no. Dans le premier, Diderot et la satire, est discuté le recours à
l'ironie et à la satire comme
instruments du scepticisme éclairé et
éclairan1.
Un philosophe satirique (2eme chapitre) souligne la perspective philosophique de Diderot en tant
que penseur préoccupé parle fond des questions et
maniant avec adresse !'arme d'un la ngage
âpre et énergique. Sans se sentir prisonnier d' une interprétation quelconque, Robeno Romano discute la
littérature diderotienne récente, principalement de langue française , et met en valeur l'indépendance de Diderot
par rapport à ses contemporains et surtout à ses
critiques, indépendance qui lui valut une
sone d'
acc usa tion voilée d'éclectisme.
Romano ne distingue pas dans cet
éclectisme une pene de qualité philosophique d1ez Diderot.
Au contraire, l'interêt multiple
porté par celui-ci à toute forme d'expression de la pensée humaine, y compris dans ses rêves,
mythes ou songes (apparemment) les plus farfelus, le rend plus proche
des grands écrivains satiriques
de la tradition de 1'Occident classique. Romano passe ainsi, dans son 3eme.
Chapitre, à établir entre Lucien et Diderot quelques approches.
Remarquable reprise
de Lucien de Samosate par R. Romano. Notre auteur utilize les paralleles déjà établis, à partir
de Renan, et
examine
les rapports entre Diderot,
'l homme
des Lumieres, et le
Syrien, se rallian t à L. Schenk,
pour considérer Diderot comme
"un Lucien moderne". Son chapitre expose clairement Jes
raisons d' o rdre psychologique et philosophique,
comme de style et de méthode, qui le
menent à voir en Diderot un adm
irateur sinon un disciple de Lucien.
Le 4eme. Chapitre apporte une démonstration détaillée de la
these soutenue, car Roberto Romano se penche, chez Lucien, sur
quelques
dialogues
exemplaires pou 'l a nalyse diderotienne. Le
Neveu de Rameau est étudié par comparaison
directe avec quatre dialogues de Lucien: Dyonise, Annclwrse, lcaromeni ppe, Dialogue des Morrs et Cl1nron et /es observnteurs. Le recours au sujei du "masque" (et son parallele immediat avec la "persona" de la tragédie) permet à Diderot - comme le
souligne l'auteur - de se
servirdes techniques luciéniennes et moenipéennes de I'anabasis et de la /wtabasis
pour construire "une critique universelle de la culture et de la politique".
Une telle critique préfere la moquerie de maniere à prendre ses distances par rapport aux riches et aux puissants, si farniliers de 'l adu latio n.
Une citation
remarquable des Pensées de Pascal ouvre le Serne. Cha pit re.
L'ironie de l'adulation et de la flatterie et
de ses mille un artifices est une constante
de la socié té. Romano
nous fait voir à que!
point la pyrotechnie des mots et
des bavardages constituait
un véritable rideau de
dissimulation et de tromperie au XVI IIe. Commérages, non-sens,
incommunicabilité: des traces du Neveu: le
7eme chapitre nous fait comprendre
la réfléxion de Diderot, para Jean François, sur la futilité de la vie d'apparences, des bruits sans signification, du
vide, du néant, de la mort.
Romano montre
justemem avec élégance - sans trop de mots - la
gêne de Diderot devant la prolixité du monde
littéraire et social de son époque, gêne
qui se traduit par la satire caustique de ses écrits. On peut ajouter sans
crainte d' éxagérer, que beaucoup' pa
rler pour ne rien dire' est, de plus, un mal persistam qui afflige la
philosophie et les belles lemes depuis bien longtemps, un rideau de
fumée appélé la
n gage qui voile l'absence de pensée - on lui préfererait un obséquieux silence, rnême imposé, et à la limite du martyre
intellectuel! Le neveu de Rameau se réfugie
dans le tourbillon des mots flatteurs, jouant le rôle que 'l on attend de lui, malheureux si la
vélleité le prend de devenir lui-même.
La forte présence de la critique du langage creux
chez Diderot mene Romano à examiner 'l influence de Plutarque sur la
tendance moraliste des
textes du XVllleme.
Pour l'auteur il
est nécessaire d' éta blir le
rapprod1ernent entre
Plutarque et Diderot, car pour
celui ci 1'impiété de Lucien devrait être comrastée sinon compensée par une sorte de
moralisme confident chez le premier. Le dernier
chapitre, sur la satire et la sécularisation, paracheve la réflexion (optim iste) de Romano sur le choix
de la raison par les
personnes libres, q ui savent (ou sauront un
jour) avoir recours au rire
et à 1 'ironie pour échapper
au piege des croyances aveuglantes et
des déluges de mots vides. "Un
satirique, un
sceptique si l"on veul,
sait. que p arler
est important car, à partir de ses faiblesses, on peut établir d' in finies connexions nouvelles. 11 faut cependam, pour cela , philosopher avec les autres êtres
humains,
en refusant la leçon voltai rien ne et en assumant la culture du monde, bien au-delà du
jardin confonable"
(Roberto
Romano). Une bibliographie
qui tie nt compte des classiques
et des in nova teurs en la recherche diderotienne liés spécifiq ue ment à J'objel du livre clõture celui-ci. Avec une rigueur méthodologique et un soin linguistique qui n' a rie n en commun ni avec le bavardage creux ni avec le parler pour ne rien dire, Romano livre aux lecteurs une étude sérieuse, enrid1ei par un sty le lui- m ê me fin et ironique, mettant à la disposition (surtout) des spécialistes une vaste culture et u ne
fresque analytique comparative
qui couve bien la tradition !atine de la sa tire ,
de 1 ' iron ie et
du mo ralis me didactique du théatre, de la
literature, du sermon.
CARLOS E..\TEVÀO O lt\VES DE R. M ,\lff
lNS
Professeur
de Philosophie à 1'
Nenhum comentário:
Postar um comentário
Observação: somente um membro deste blog pode postar um comentário.