Le lecteur du dernier livre de Jean-Claude Milner, Relire la Révolution (Lagrasse : Verdier, 2016), est d’abord saisi par sa richesse. Catherine Kintzler a rendu compte des « dérangements » intellectuels que le livre propose1.
D’une analyse des ouvertures, des synthèses, des réflexions diverses
que de tels dérangements produisent, on peut conclure que le livre est
non seulement brillant mais, ce qui importe bien plus, profond. Nous
souhaitons ici, d’une part, énoncer et justifier des désaccords et,
d’autre part, expliquer ce qui nous semble être le principe constitutif
du livre. Paradoxalement, les deux projets vont de pair :
l’explicitation des désaccords acquiert sa signification au regard de ce
principe et l’examen de ce principe est aiguisé par l’explicitation.
C’est pourquoi nous nous permettons d’entrelacer la critique du livre et
l’exposition de son mode de constitution.
Dans un premier moment nous proposerons des éléments de
critique historique. Dans le deuxième nous nous efforcerons de
déterminer la structure constitutive du livre. Dans un troisième moment
nous en proposerons une critique politique. Enfin, nous achèverons notre
lecture en considérant le mode d’intelligibilité spécifique des
principes et des événements que le livre propose : il nous semble
finalement mettre en jeu le statut moderne de l’« interprétation » et la
distinction entre le philosophe et l’« analysant ».
1 – Quatre critiques historiques
Celles-ci ont pour objet un manque d’exactitude.
Laissons le mot en suspens pour l’instant. Il faudra le reconsidérer.
Voici les affirmations qui nous semblent contestables.
a) La fuite de Varennes : elle a effectivement lieu les
20-21 juin 1791 mais Milner précise : « On était en guerre » (p. 105).
Or la guerre, contre la Hongrie et la Bohème, est déclarée le 20 avril
92 ; fin avril les armées françaises franchissent la frontière belge ;
et Frédéric-Guillaume II mobilise en mai 92.
b) « Un légiste scrupuleux trouvera peu à dire sur le
procès du roi. » (p. 111). Or Les députés durent déclarer leur vote
publiquement, l’un après l’autre, et le motiver. Et non seulement il n’y
a pas de secret de délibéré mais, selon Emmanuel de Waresquiel (dans sa
biographie de Fouché,
Fouché. Les silences de la pieuvre) et
selon bien d’autres historiens, le procès se déroule devant une salle
pleine, vociférant, toute entière acquise à la condamnation à mort.
Souhaitons que tout procès ne se déroule pas ainsi afin que les droits
de la défense soient pleinement reconnus comme cela est nécessaire
juridiquement. Nous pouvons ajouter que le procès était
« surdéterminé » ; il visait entre autres choses à engager la Convention
dans une rupture radicale ; ceux qui ne votaient pas la mort seraient
définitivement suspects, ceux qui la voteraient définitivement liés.
c) On repère ce qui nous semble être un coup de force
théorique, voire un sophisme. Analysant le passage des massacres de
septembre 92, commis par les foules, aux exécutions légales décidées au
nom du peuple, Milner déclare : « La foule avait mis la mort au poste de
commandement ; précisément parce que le pouvoir de la foule a pris fin
et pour qu’on voie distinctement qu’il a pris fin, la mort demeure.» (p.
143). Bref : afin de manifester
distinctement la différence,
il faut affirmer le même. Le lecteur pense : pour montrer que,
désormais, l’État impose sa différence, il convient que la peine soit
différente ; mais le « précisément » justifie et impose un coup de force
« logico-ontologique » : la différence est proclamée dans le maintien
de l’identité. Et donc on continue de tuer.
Cependant cette critique est encore inattentive à la
pensée de Milner. En effet celui-ci repère le mouvement par lequel « le
peuple se disjoint de la foule » et il précise : « Mais afin qu’on voie
clairement le transfert, il faut un référent constant ; cette fonction
revient au « faire mourir » lui-même. Le pouvoir doit se matérialiser à
l’identique ; alors seulement on rend sensible le changement de
décideurs et d’exécutants.» (p. 143). Ce propos nous interdit-il
d’invoquer un coup de force ? Il est très contestable. La voie la plus
courte et la plus directe, la solution la plus économique et la plus
simple pour rendre « clair » le « transfert », pour « rendre sensible le
changement » est de superposer à la différence entre la foule et le
peuple la différence entre le « faire mourir » et le respect de la vie :
que, désormais, le pouvoir du peuple cesse de mettre à mort comme le
faisaient les foules. Le « référent constant » souffre au contraire
d’une double déficience. D’une part, il est la cause d’un effet
paradoxal qui manque de « clarté »: donner l’apparence du même,
c’est-à-dire continuer de tuer, pour manifester la différence. D’autre
part, du point de vue d’une logique de l’action, il n’est pas
économique : il suppose que l’on « clarifie » la différence entre la
foule et le peuple grâce à un invariant, alors que la seule
superposition des différences suffit à produire cette clarté. Les
défauts de ce mode de clarification nous déterminent à douter de son
existence ; or Milner ne cite aucun texte d’acteur de la Révolution qui
permette de prouver sa réalité historique.
Dès lors le lecteur peut suspecter une ressemblance avec ce que l’épistémologie nomme une « hypothèse
ad hoc » et condamne. L’hypothèse
ad hoc
est inventée dans le seul but de résoudre le défaut manifeste d’une
théorie sans mettre en question les présupposés de celle-ci ; elle est
très précisément ajustée (trop précisément ajustée, pouvons-nous dire) à
une fin : maintenir une théorie malgré les déficiences que celle-ci
présente. Or ériger le « faire mourir » en référent constant est
admirablement ajusté à une fin : rendre logiques les mises à mort au nom
du peuple en les distinguant des massacres sauvages, et ainsi maintenir
l’idée selon laquelle la Terreur, malgré ses indéniables violences, ne
produit pas de massacres. Mais de la sorte une question se pose :
n’a-t-on pas opéré une certaine minimisation des violences de la
Terreur ? Elles sont le nécessaire prix à payer pour que le peuple se
substitue aux foules.
d) Milner remarque que le « despotisme » de la Terreur
est tel que le « soupçon suffit » pour être condamné (p. 147). De plus
il condamne à juste titre le « démon de l’analogie » (p.236). Mais
n’est-ce pas céder à ce démon que « rapprocher » des « états d’urgence »
aussi dissemblables que la « loi des suspects » de la Terreur, l’état
d’urgence français et le
Patriot Act ? Précisément,
pouvons-nous fonder le « rapprochement » sur la « suspension des
libertés » (p. 156) ? Nous ne connaissons pas assez les modalités du
Patriot Act
pour nous prononcer mais comparons la « loi des suspects » aux récentes
mesures d’urgence de l’État français. La loi du 20 vendémiaire an II se
réfère non seulement aux immigrés et aux royalistes mais, entre autres,
à ceux « à qui on a refusé des certificats de civisme » et à ceux « qui
n’ont pas constamment manifesté leur attachement à la Révolution » ; le
décret du 22 prairial An II supprime de fait toute défense aux
personnes déférées devant le Tribunal révolutionnaire et ne laisse aux
jurés que le choix entre l’acquittement et la mort. Le présent état
d’urgence français limite les possibilités de manifester, il permet
d’assigner des individus à résidence sans autorisation préalable du juge
judiciaire mais sous le contrôle du juge administratif, il autorise les
perquisitions administratives sous le contrôle d’un juge indépendant
(administratif pour la perquisition, judiciaire pour ses éventuelles
conséquences). Peut-on alors évoquer un « rapprochement » ? D’un certain
point de vue, la chose est aisée : on fait jouer des différences de
degré et il est alors toujours possible de légitimer
in fine le
point de vue qui « rapproche » les deux politiques. Le jeu est donc
permis. Retire-t-il toutefois de la valeur au point de vue adverse et à
ce qui attesté empiriquement et juridiquement ? La catégorie de
« suspect » et « la » suspension de libertés possèdent des sens
très
différents pendant la Terreur et dans la France de 2016. Le texte est
cependant sauvé : précisément la « ressemblance » n’est déterminée ni
par un retour de la peine de mort ni par le statut juridique du
« suspect » mais par la « réapparition » de ce dernier (p.156). La gêne
ne cesse cependant pas. La
dangerosité qui fait le « suspect »
n’a jamais cessé d’être présente, différemment modulée certes, par les
politiques normatives qui travaillent au sein des politiques de la loi.
Les analyses développées par Foucault et les historiens qui ont
travaillé en son sillage ont analysé ce fait : la norme depuis le XVIII
e
siècle ne cesse de « coloniser », selon le mot du généalogiste, la loi.
Les figures de l’« anormal » et du « dangereux » se sont
continuellement développées en contradiction avec le formalisme
juridique. De ce point de vue, les états d’urgence n’inventent rien et
ne renouent pas, par-dessus les siècles, avec la Terreur. L’un des
intérêts d’une généalogie de la délinquance et des « urgences »
politiques est de dissiper le mirage selon lequel le suspect
« réapparaît ». L’affirmation d’une continuité s’impose, non celle d’une
courbure présente du temps politique.
Quelles sont les conséquences de ces erreurs ? Minimiser
les violences des institutions révolutionnaires (points b et c),
accentuer la faute du roi (a), ce qui revient
in fine, et
derechef, à minimiser ces violences et, enfin, interpréter sur un mode
excessif la puissance de pouvoirs étatiques présents (d). On pourrait
dire : minimiser la violence de l’État révolutionnaire qui prétend
travailler pour les droits des l’homme. On doit ajouter : jouer l’État
révolutionnaire contre des États présents, en transférant excessivement
sur ceux-ci la violence indument minimisée de celui-là.
2 – Le principe du livre : un mouvement de torsion
Deux questions se posent alors. D’une part, comment
penser et « situer » les références historiques et donc les
forçages auxquels elles sont parfois soumises? Dans ce livre qui prétend
relire la Révolution, quel statut est accordé à la lecture des
réalités historiques et donc aux erreurs (s’il en existe) de lecture ?
D’autre part, le lecteur est habitué à ces moments de « précipitations »
de la pensée qui produisent souvent, outre un bonheur d’écriture, des
effets de vérité et des fulgurances remarquables mais aussi, parfois,
disions-nous, des erreurs. Une deuxième question apparaît alors :
peut-on interpréter celles que le livre nous paraît présenter ? Quelle
signification accorder aux inexactitudes ?
Puisque le livre est à la fois historique et politique,
afin de tenter de répondre à ces questions il convient d’articuler le
discours historique qui, parfois, nous semble manquer d’exactitude, au
discours politique. Il convient donc de saisir ce qui pourrait être le
principe constitutif du livre.
Torsion entre intérieur et extérieur
Reportons-nous à l’analyse de la
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen,
précisément à un de ses moment clefs : « les droits de l’homme sont
extérieurs à une collectivité politique constituée, mais ils ne peuvent
être définis que de l’intérieur d’une telle collectivité et après
qu’elle a été constituée. L’extérieur provient de l’intérieur » (p.194).
Et cette extériorité permet de juger l’intérieur : les droits de
l’homme permettent de l’extérieur, en qualité d’étalon, de juger la
légitimité des droits des citoyens. Or ce « mouvement de torsion », dit
Milner, ne produit « aucune contradiction » (p. 194-195). La
linguistique saussurienne en fournit en effet une homologie : la
relation du signifié et du signifiant, nécessaire à l’intérieur d’une
langue donnée, ne peut être qualifiée d’arbitraire qu’à la condition de
passer de cet intérieur à l’extérieur de toute langue, et cette
extériorité fait retour à l’intérieur afin de définir en vérité le
signe, « l’extérieur de la langue est construit depuis l’intérieur, pour
permettre en un second mouvement, de revenir de l’extérieur vers
l’intérieur ». (p. 195).
Le statut de la référence linguistique – toujours
majeure chez Milner – doit sans doute alerter le lecteur : ici se joue
un mouvement essentiel de la pensée. Peut-être, cependant, la référence
linguistique est-elle seconde ou en tout cas nouée à une autre référence
implicite – à savoir la psychanalyse. Que permet de penser la
psychanalyse ? Que la vérité inconsciente ne peut être saisie, à titre
d’effet, que
de l’intérieur d’un discours et d’un « savoir »
qu’elle déchire (pensons par exemple au lapsus) ; or cette vérité, grâce
à cette déchirure, s’impose toutefois comme irréductiblement
extérieure
au savoir qu’elle fait vaciller et elle dont dénonce, en retour, le
caractère de semblant. Ce qui implique que la vérité soit corrélée au
savoir. Précisément savoir et vérité sont disjoints dans la mesure où
ils sont corrélés, ils sont donc articulés, comme le sont nécessairement
l’intériorité et l’extériorité en cette relation dynamique de torsion
2.
La « topologie » (p. 195) à laquelle Milner fait allusion fut méditée
par Lacan afin de donner un statut enfin intelligible au « sujet de
l’inconscient ». La référence, énoncée dans la Conclusion (p. 239), à la
différence lacanienne entre « réalité » (ordre du savoir, de
l’exactitude) et réel (ordre de la vérité) fait système avec les
références à Freud et Lacan qui déplient une analogie, entendue ici au
sens précis d’un rapport identique entre termes différents (pp.
194-195) : non seulement l’homme est au citoyen ce que les droits de
l’homme sont à ceux du citoyen, mais, doit-on préciser, ce que le réel
est à la réalité, et la vérité au savoir d’exactitude. La page 262
explicite les pages 194-195 en situant, dans la lignée de Freud, l’homme
du côté du réel. Il semble ainsi que toutes ces analogies sont
fondées en raison dans le mouvement de torsion qui constitue la structure matricielle du texte.
De la sorte la
maxime éthique – ne jamais opposer exactitude et vérité, qui sont radicalement différentes (p. 246) – doit être réfléchie en
maxime politique (et
l’inverse) : ne jamais opposer homme et citoyen, droits de l’homme et
droits du citoyen, qui sont radicalement différents. Ces maximes
dessinent ainsi un trajet de pensée analogue, qui situe la vérité et les
corps parlants en extériorité active au savoir et au citoyen, et en
font des principes d’injonction : ne jamais céder sur ce qui est
hétérogène à la fois au savoir et aux montages constitutionnels.
Injonction qui n’a de pertinence qu’à la condition de ne pas opposer les
premiers et les seconds, qu’à la condition donc de ne jamais perdre la
conjonction au profit de la disjonction (et l’inverse). Ne jamais céder
ni sur le réel ni sur l’exactitude. Notre gêne peut alors être mieux
comprise ; il nous semble que nous pouvons répondre à notre première
question et situer les erreurs que nous avions attribuées à Milner : il a
trop cédé sur l’exigence d’exactitude. Peut-on alors répondre à la
deuxième question ? S’achemine-t-on vers une lecture possible des
inexactitudes? Considérons donc la critique politique que l’on pourrait
adresser à Milner.
3 – Critique politique : le respect des corps parlants
Corps parlant et capacité de choix
La lecture de la
Déclaration que propose Milner
est l’objet d’un débat. À la lumière de cette belle et brillante
analyse, faut-il distinguer, comme Milner nous y invite, l’homme et le
citoyen ? Au contraire, selon des lectures « classiques », la
Déclaration
institue les droits identiques de l’homme et du citoyen, juridiquement
identifiés, en maître étalon politique et en extériorité active aux
politiques empiriques. Il existe cependant un principe commun à la
lecture de Milner, qui disjoint et conjoint l’homme et le citoyen, et
aux lectures classiques qui les identifient : une nécessaire et positive
opération de désubstantialisation de la figure de l’homme et, ajoutent
les classiques, du citoyen. La
Déclaration dépouille l’homme –
et le citoyen donc ? – des contingences empiriques pour l’élever à la
hauteur d’une heureuse abstraction. Un des enjeux de la différence de
lecture est la position du curseur normatif : convient-il de situer
ensemble les droits de l’homme et du citoyen qui fondent un droit de
critique à l‘égard des politiques empiriques, ou bien convient-il de
situer les droits de l’homme en position d’étalon et les droits du
citoyen en position de figure empirique, comme s’y emploie Milner ? Mais
là n’est peut-être pas le seul enjeu.
Partons de ce qui se présente apparemment comme un
détail. Évoquant Calais et ce qui avait été nommé sa « jungle », Milner
se réfère à « ceux qui y ont été regroupés depuis 2000 » (p. 259).
Bonheur de la voix passive. Les corps parlants ici évoqués ont quitté
des territoires car ils ne pouvaient supporter des conditions de vie
politiques, économiques, voire climatiques, réellement mortifères. Ils
ont fait le choix de venir non dans tel ou tel pays situé dans l’Espace
Schengen mais en Grande-Bretagne, et se sont heurtés à une impasse. Ils
ont subi des conditions de vie terrifiantes auxquelles tout pouvoir
politique doit mettre fin. Et certes à Calais, pouvait à bon droit
écrire Milner, « l’on n’a pas réglé la question de l’eau, de l’hygiène,
de la nourriture, de l’espace personnel » (p. 260). On doit ajouter :
l’on n’avait pas réglé la question des violences physiques faites au
plus faibles, dont des femmes, des enfants et des membres de minorités
ethniques, violences parfois commises par des individus extérieurs à
ceux qui sont nommés des « migrants », parfois par des migrants
eux-mêmes. Or, bien avant que le « camp » soit démantelé (pour combien
de temps ?), l’État français avait proposé à ces migrants de demander
l’asile. Le dépôt de cette demande permettait d’être hébergé loin de
Calais. Certains avaient accepté ce départ, d’autres avaient fait le
choix de rester. Notre gêne ici ne vient nullement de l’insistance sur
les besoins et les exigences corporelles. Elle ne vient pas de
l’insistance très légitime de Milner sur le devenir des corps. Cette
insistance est toujours justifiée et il faut la rappeler alors que des
migrants et des nationaux sont présentement confrontés aux grands froids
de l’hiver. Notre gêne porte sur la minimisation, de fait, d’une
propriété des corps
parlants : des corps doués de parole, donc doués de raison et de
capacité de choix, y compris lorsque les alternatives sont effrayantes.
La question de la passivité et de l’activité est
centrale. Un corps parlant, en effet, est un mélange de passivité et
d’activité. Tel est son
réel, que l’on doit toujours
considérer. L’activité n’est jamais totale mais, lorsque la parole est
totalement éliminée – anéantie matériellement ou tenue pour un néant –,
la passivité est totale ; alors le corps est livré à toutes les menaces
et la place est faite pour que l’horreur puisse surgir. Précisément,
lorsque la parole est niée de telle sorte qu’est niée sa puissance de
refuser et d’interdire ce qu’on veut fait subir au corps –
le sujet est traité comme une bête,
Milner a raison de le rappeler (p. 264) et parfois comme on n’ose pas
traiter des bêtes, pourrions-nous ajouter. Mais inversement, lorsque le
corps est mis entre parenthèses, le sujet devient illusoirement un
ange et les droits
angéliques ;
Milner a également raison le rappeler (p. 261). Or, qu’est-ce qui est
dû à tout corps parlant ? D’être respecté comme corps parlant,
c’est-à-dire comme sujet. Être respecté comme
corps parlant : ici, les pages de Milner sont d’une grande puissance. Être respecté comme corps
parlant
c’est être respecté comme pouvoir matériel d’articuler des choix et
d’en être responsable, c’est-à-dire d’en répondre, en tous les sens du
terme. Les quatre droits sur lesquels insiste Milner – la liberté, la
propriété, la sûreté, la résistance à l’oppression – enveloppent certes
ce respect des corps parlants, et donc de leurs paroles, et donc de leur
responsabilité. Milner envisage le cas terrifiant dans lequel le sujet
est radicalement nié dans son corps, dans sa parole et donc en son
humanité. Mais il ne dit mot, explicitement, des choix dont le corps
parlant est responsable. Ainsi il semble ne pas prêter attention au
choix dont les migrants, dans des conditions terribles, portaient la
responsabilité : accepter ou refuser le dépôt d’une demande d’asile. Ces
migrants eux-mêmes avaient souvent énoncé leur volonté de rejoindre la
Grande-Bretagne et leur choix de ne pas déposer une demande d’asile.
Encore fallait-il les écouter et ne pas les réduire à des objets de
piété sociologique ou politique. Milner ne cède nullement à ce défaut
mais il ne nous semble pas reconnaître pleinement le réel de ces corps
parlants en ne considérant ni leur choix ni leur responsabilité.
Parlant, le corps s’affirme être celui d’un sujet et il
doit être reconnu comme tel quoi qu’il dise, taise (ce qui est une
manière de dire) ou fasse. Il s’affirme ainsi être celui d’une
individualité responsable. Telle est une des leçons de la psychanalyse
qui articule la thèse sur le mode singulier de la torsion : aussitôt que
le corps parlant est dessaisi de la maîtrise de la parole – dans la
surprise du lapsus, du silence ou de la sidération – par un mouvement
nécessaire, il s’affirme comme responsable à la fois de cette dessaisie
réelle et du leurre de la maîtrise. De l’intérieur du savoir, la
dépossession surgit, mais elle doit être entendue comme l’extériorité
qui défait le semblant et fait fulgurer le sujet. On connaît la version
freudienne : le sujet est responsable de ses rêves. Ne pas entendre
cette responsabilité, ou n’en dire mot, n’est-ce pas nier le réel en jeu
?
Des droits sans devoirs ?
Autre angle critique : ce livre sur les droits des corps
parlants dit fort peu de choses sur leurs devoirs. Nous ne lisons
qu’une seule remarque à ce propos, la formulation suivante à propos de
la nécessité du « tour de parole » : « Chacun parle en sachant qu’il
devra consentir, le moment venu, à se taire. » (p. 255). Ce consentement
obligé au silence est insuffisant au regard des problèmes en jeu. En
effet, que sont des droits sans devoirs ? Entendons non les devoirs –
nécessaires et irréductibles – qui sont dus au corps parlants par les
États et les institutions politiques mais ceux qu’ils se doivent les uns
aux autres, en vertu du principe classique selon lequel le droit de
l’un est la face positive du devoir auquel sont tenus tous les autres.
Ce principe est-il donc si tautologique qu’il ne soit pas nécessaire de
le développer ? Mais n’est-il pas nécessaire, au moins, de le
mentionner ? La
Déclaration disjoint-elle et conjoint-elle
droits de l’homme et droits du citoyen, ou plus simplement les
identifie-t-telle ? En tous les cas elle affirme, dans l’article 4, que
« l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que
celles qui assurent aux autres membres de la société, la jouissance des
mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi.»
La loi – « expression de la volonté générale » à la
formation de laquelle « tous les citoyens ont droit de concourir
personnellement ou par leurs représentants » (art. 6) –, cette
institution des citoyens, limite les droits naturels de chaque homme
selon le principe de l’égalité. N’est-ce pas ce qu’il convient de
penser ? Comment Milner entend-il la formulation selon laquelle les
citoyens bornent ainsi ces droits ? Les lois positives sont-elles
incontestables du point de vue des droits de l’homme lorsqu’elles
inventent des modes de compossibilité entre les droits naturels de
chacun ?
Tentons une dernière approche. Oui, « le réel disjoint,
fracture, crée de l’hétérogène » (p. 239). Or les violences sexuelles
commises par certains migrants contre des femmes à Cologne, la nuit de
la Saint-Sylvestre 2015, constituent-elles une telle fracture ? Nous
rencontrons une question essentielle : qui assure, et à partir de quel
lieu, qu’une fracture dans l’ordre des réalités et dans l’ordre des
savoirs a « eu lieu » ? C’est une question très vaste qu’on ne peut pas
résoudre ici. Elle ne peut pourtant être évacuée, et ne saurait bien sûr
être expédiée. Nous y reviendrons dans le quatrième et dernier moment.
Qu’il suffise de remarquer ceci : on ne doit certes pas « offrir en
cadeau » cet événement au Front national. À cette fin, la question des
droits et des devoirs des corps parlants – et donc aussi des
« migrants » – est stratégiquement essentielle. Le moment l’impose : ne
surtout pas se satisfaire de la seule affirmation, absolument nécessaire
et irrécusable, des droits universels des corps parlants, et
singulièrement de ceux qui sont les plus fragilisés, dont les migrants
font partie ainsi que certains nationaux. Mais aussi : affirmer leurs
devoirs universels qui sont l’envers nécessaires de ces droits.
Évidemment, ne pas se satisfaire des silences et des injonctions –
bref : des discours – d’une certaine gauche, selon laquelle parler de ce
qui s’est passé à Cologne serait faire le jeu du « racisme » et de
l’ethnocentrisme. Les textes de Milner ont toujours manifesté un grand
intérêt pour ces questions et furent parmi les premiers, nous
semble-t-il, à repérer les faiblesses et les fautes politiques et
intellectuelles du « progressisme ». Nous sommes alors d’autant plus
déçus qu’il ne dise presque rien des devoirs et de la responsabilité de
tous les corps parlants.
Une lecture des inexactitudes
Deux conclusions s’imposent donc ici.
En premier lieu il convenait, au moins, de faire mention
de ces devoirs et de cette responsabilité : le réel des corps parlants
l’impose, l’indissociabilité et l’égalité des droits et des devoirs le
requiert, et la conjoncture l’appelle. Ainsi, nous aimerions connaître
le statut que Jean-Claude Milner accorde aux devoirs et à la
responsabilité des corps parlants. Précisons l’interrogation. Faut-il
laisser le soin aux citoyens de déterminer, non les droits, mais les
devoirs de l’homme ? Les citoyens jouiraient ainsi, disions-nous, de la
possibilité d’inventer des compossibilités entre les droits naturels de
chaque homme. Ou bien faut-il admettre que la détermination de ces
devoirs relève d’une logique immanente des droits de l’homme – une
logique à laquelle, certes, doit toujours être comparé l’édifice des
droits du citoyen ? Mais l’alternative est peut-être contestable. Les
droits de l’homme, bien qu’ils soient « invariables », sont « vides »,
remarque Milner, lorsqu’ils ne sont pas corrélés aux droits du
citoyen (p. 212-213) : la logique immanente des droits et des devoirs
n’est-elle pas soumise à des « évaluations » (p. 212) historiques qui
actualisent les droits et les devoirs? – Ce sont autant de questions
auxquelles nous espérons que Jean-Claude Milner propose des réponses. À
la condition que ces questions lui semblent correctement posées.
En second lieu, il est possible de tenter une
lecture des inexactitudes. Prendre au sérieux l’indissociabilité et
l’égalité des droits et des devoirs des corps parlants impose que l’on
soit attentif à l’institution qui peut garantir cette indissociabilité
et cette égalité, l’institution assez communément appelée État. Nul
n’est assez naïf pour penser que les États assurent nécessairement cette
garantie. Mais l’on doit accorder une certaine considération à un État
qui fait de cette garantie son principe et qui s’impose ainsi une tâche
qu’il est présentement seul à pouvoir accomplir. Une nouvelle question
se pose alors. Avouons qu’elle a son origine dans un
sentiment
de lecteur. Minimiser les violences de l’État révolutionnaire qui
travaille pour les droits des corps parlants (et, avec Milner, ne disons
pas pour leurs devoirs), proposer inversement une lecture excessive de
l’état d’urgence de l’État français, n’est-ce pas dévaloriser au profit
de l’État révolutionnaire la machine étatique actuelle ? Celle-ci
travaille mal : non seulement elle fait l’épreuve d’une usure et d’une
déformation de ses principes, mais elle confond trop souvent la loi et
la norme. Elle travaille cependant et s’efforce d’assurer, tant bien que
mal certes, l’indissociabilité et l’égalité des droits et des devoirs
des corps parlants. De la sorte, ne peut-on pas lire dans les
inexactitudes historiques qui minorent les violences révolutionnaires
l’envers d’une certaine indifférence à l’égard des institutions
étatiques présentes qui, pesamment et sans gloire, sans être auréolées
du prestige de la Révolution, et non sans ratages effectifs, savent que
le droit de l’un est le devoir de l’autre et s’activent à les égaliser ?
La seconde conclusion suppose la première, mais
précisons que la première ne dépend nullement de la seconde et que la
seconde ne prétend nullement livrer le « dernier mot » du texte ; elle
prétend simplement proposer une lecture possible des inexactitudes : la
pente facile qui dévalorise trop aisément la nécessité et l’activité de
l’État présent au profit d’une certaine minimisation des violences
révolutionnaires. Pente qui contraint à céder à la fois sur l’exigence
d’exactitude et sur le réel.
Les questions précédentes ne sont pas de pure forme. Les
critiques qu’elles enveloppent ne doivent pas masquer le mouvement de
pensée singulier du texte de Milner, dont le repérage avait permis
d’élaborer ces interrogations. C’est sur l’analyse de ce mouvement que
nous souhaitons désormais revenir afin d’achever notre lecture.
4 – La distinction moderne entre l’analysant et le philosophe
En effet, en deçà des critiques que l’on peut lui
adresser, le livre invite à affronter une question à laquelle il se
confronte avec un courage certain. Qu’est-ce qui légitime à interpréter
un événement en termes de fracture et de déliaison ?
Cette fracture est singulière ; elle est à la fois
historique et non-historique. Elle est non-historique dans la mesure où
l’histoire déploie des savoirs et, plus largement, des ordonnancements
de discours et de choses que l’événement, précisément, fracture. Elle
est historique pour deux raisons distinctes. D’une part, parce que le
réel déchire le tissu historique et donc s’inscrit nécessairement en
lui : la peste d’Athènes, les camps de la mort, la Révolution française
peuvent ainsi être interprétés comme des « expériences du réel »
(p.242). Il existe une historicité de la matière en laquelle s’inscrit
la déchirure. D’autre part, la fracture est historique pour une raison
différente, qui ici nous importe plus et qui met en jeu l’histoire de la
pensée. En effet, la reconnaissance et l’intelligibilité du geste de
fracture s’inscrivent dans une histoire de la pensée ; il existe une
historicité de la pensée qui élucide et explicite ce mouvement de
déchirure. Certes, « parler au nom du réel, c’est impossible » (p. 245),
puisque le réel fracture les discours. Mais il n’est pas impossible de
donner à entendre les fractures de ce réel. Ainsi la pensée s’impose
d’affirmer les « expérience[s] du réel » (p. 242). C’est pourquoi l’on
peut dire qu’elle travaille à fracturer le discours. Ce travail
relève-t-il de la « modernité »?
Le terme est si équivoque qu’il peut condamner le propos
à l’insignifiance. De plus, le geste qui fait saillir le réel avait
jadis été effectué et médité par des théologies qui s’élèvent à Dieu à
partir des savoirs pour, en un second temps « fracturer » et abaisser
ceux-ci. Cependant, considérons le trajet du geste et non cette
finalité-ci. Le geste fut aussi exercé, selon une finalité opposée à
tout abaissement intellectuel, pour fonder en droit la scientificité et
la vérité de certains savoirs. Le parcours des
Méditations métaphysiques de Descartes– à partir de la preuve (ou des preuves) par l’effet de l’existence de Dieu dans la troisième
Méditation
– ne consiste-t-il pas, si nous modifions comme il convient la formule
déjà citée de Milner, à « construire l’extérieur des représentations
depuis l’intérieur, pour permettre, en un second mouvement, de revenir
de l’extérieur vers l’intérieur » afin de fonder en raison la vérité de
certaines représentations et ainsi fonder la science ?
Or, en opposition aux deux gestes que nous venons
d’indiquer, nous pouvons envisager une des aventures de la modernité :
il ne s’agit ni d’abaisser les savoirs ni de fonder des savoirs en
vérité mais de disjoindre et de corréler les savoirs et la vérité afin
de faire entendre le réel. Ceci grâce au mouvement qui, de l’intérieur
des savoirs, affirme un extérieur – lequel n’est point une transcendance
– afin de revenir, en un second temps, vers les savoirs et
d’expérimenter l’inconsistance de leur vérité. Un des noms de ce
mouvement est : l’interprétation.
De ce point de vue, il ne semble pas possible de réduire
l’« interprétation » à une nécessité universelle expérimentée par tous
les penseurs, un effet de dictée, une contrainte intellectuelle qui
forcerait la pensée à penser. Pratiquée, assumée, et élevée à
l’intelligibilité par le penseur, elle désigne un mouvement historique
de pensée, torsion grâce à laquelle émerge de l’intérieur des discours
l’effet de vérité qui fait rupture avec l’ordre des discours. C’est de
ce point de vue que la psychanalyse est un des centres de la modernité.
L’intelligibilité de ce geste appartient en effet, et pour une part, à
l’histoire de la psychanalyse. Ou plutôt, la psychanalyse appartient à
ce geste, car c’est par lui qu’elle s’est constituée en tentant de le
rendre intelligible. La question « qu’est-ce qui légitime une
interprétation ? » exige donc une réponse singulière, non réductible à
la contrainte générale que subit la pensée. Or une réponse semble
s’imposer : elle ne peut ici se
fonder sur nul discours de
principe, précisément parce que le discours se développe en savoir et
parce que l’interprétation, au lieu de se stabiliser sur un savoir du
principe, engage ce qui fracture le savoir. À la question, il ne nous
semble donc exister qu’une réponse : un sujet s’autorise de lui-même à
effectuer l’interprétation. Ce sujet peut expliciter ce geste : nous
lisons ainsi la Conclusion du livre de Milner qui possède une sombre
noblesse (malgré les désaccords qu’elle peut faire naître) ; mais il ne
peut s’en décharger sur une autorité autre que lui-même. Ajoutons que,
dès
Les Noms indistincts, Milner est, avec Lacan et après
Lacan, l’auteur qui a le plus instruit des nœuds, chicanes et paradoxes
de cette torsion ; cet ouvrage, nous pouvons en témoigner, n’a cessé
d’être pour certains un repère et une source de réflexions.
S’autoriser de soi-même pour faire valoir l’hétérogène
est peut-être indiquer la place laissée en creux par la formule : écrire
sur
la révolution « à ma manière, qui n’est pas celle d’un
historien, ni celle d’un philosophe et encore moins d’un écrivain »
(10). À la manière, disons, faute de mieux, en jouant sur les mots, d’un
analysant de la révolution. S’autoriser de soi-même s’effectue
toujours à ses risques et périls, au fil du rasoir, sans garantie, sans
métalangage, l’enjeu étant de ne céder ni sur l’exactitude ni sur le
réel. Et il nous a semblé que l’auteur a,
pour une part, cédé
sur les deux exigences. S’autoriser de soi-même, c’est précisément se
livrer à un exercice de haute responsabilité, responsabilité qu’il
convient de reconnaître à tous les corps parlants. C’est pourquoi on
doit considérer Milner comme un penseur non seulement « dérangeant »
mais en danger pour lui-même d’abord – ce qui fait son intérêt – car le
geste qui s’autorise de
soi-même divise le même et ainsi
l’engage dans une parole sans protection « intérieure » des discours.
Notre étude, de ce point de vue, est une esquisse d’enquête sur ce
devenir.
Le statut de la déliaison
Ce geste de pensée effectué par Milner, geste de
déliaison des discours et des réalités, relève, ainsi que nous le
disions, de la psychanalyse ; il est également (nous pourrions le
montrer) l’héritage assumé d’un certain gauchisme, usons du mot selon un
mode neutre, ni laudatif ni dépréciatif. Ainsi, à l’intersection de ce
gauchisme et de la psychanalyse et d’autres pratiques encore (pensons à
la linguistique), la pensée de Milner ne cesse de fulgurer et de se
raconter.
Sur un mode singulier qui n’est pas philosophique, écrit
l’auteur. C’est pourquoi il convient, pour finir, de distinguer
l’« analysant » et le philosophe. Une fois de plus les deux principes –
disjoindre et corréler- s’imposent. Nous pouvons aisément le vérifier en
comparant son travail à celui de Catherine Kintzler. La comparaison est
justifiée car les deux penseurs expérimentent une complicité
intellectuelle et politique qui n’exclut cependant pas une différence
essentielle. Les lecteurs des textes philosophico-politiques de
Catherine Kintzler le savent : le mouvement qui, à la perpendiculaire
des savoirs, les fracture et les ouvre sur l’hétérogène, la philosophe
le déplace et le stabilise intellectuellement à titre de principe du
lien politique. L’enjeu philosophico-politique est non pas d’accomplir
le geste de déliaison en fracturant les savoirs, mais de situer la
déliaison en principe de légitimité politique. Nous lisons ainsi le
questionnement : « Comment penser un lien qui se constitue par la
suspension de tout lien ? Ou encore : »trouver une formule de liaison
non seulement qui s’autorise de la déliaison entre eux des éléments qui
la composent, mais encore qui la rende possible ».» (
Qu’est-ce que la laïcité ? p. 40-41). Milner, analysant, fracturant, ne se préoccupe pas du « fondement » du lien politique et jamais il ne pense, dans
Relire la Révolution,
en termes de « fondement » (la page 212 est très claire : les droits
de l’homme ne constituent pas le fondement idéal du lien politique).
Catherine Kintzler, philosophe et non « analysante », œuvre à élucider
le fondement du lien politique légitime, grâce à une logique et une
ontologie de la déliaison constitutive. Ce n’est pas elle qui s’autorise
(au sens où l’analysant s’autorise), mais la déliaison qui – élevée à
la hauteur d’un principe – autorise et rend possible la liaison
politique, de sorte que cette liaison ainsi légitimée rend à son tour
matériellement possibles et légales des déliaisons entre sujets
politiques. On sait que cette déliaison fondatrice du lien politique est
nommée « laïcité ».
Selon cette perspective, la question des rapports entre
philosophie et pensée de l’analysant se présente ainsi : quel est le
statut de la déliaison ? Celle-ci travaille-t-elle le discours pour le
fracturer ou permet-elle de situer un discours (« laïque ») en position
de fondement idéal ? L’interrogation peut aussi être articulée en termes
de vérité : celle-ci n’est-elle identifiée que par ses effets de
déliaison des savoirs et des discours, qui sont aussi des effets
« réels » de justice, ou est-elle la propriété d’un savoir (le discours
de la laïcité) qui permet de fonder la justice politique?
Notes