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sábado, 28 de outubro de 2017

Recherches sur Diderot et sur l'Encyclopédie

Comptes-rendus

Gerhardt Stenger, Diderot, Le combattant de la liberté, Paris, Perrin, 2013, 790 p., ISBN 978-2-262-03633-1

Odile Richard-Pauchet
p. 302-305

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Texte intégral

1Nous avions déjà souligné dans ces colonnes (cf. RDE, oct 2006, p. 296-300, à propos de l’ouvrage du regretté Raymond Trousson, Denis Diderot, ou le vrai Prométhée, Tallandier, 2005), le dilemme certain qui se pose au chercheur désireux de biographer Diderot. S’agissant d’un modèle aussi protéiforme, comédien, insaisissable que cet auteur rompu aux pièges et aux séductions de l’autoreprésentation, quel point de vue choisir qui ne soit ni sévère ni complaisant, enclin ni à la mythification ni à la condamnation, ni à la déformation ? Quelle organisation donner à cette anamorphose intellectuelle qui lui tint lieu de vie ? L’autre question, cela va sans dire, concerne l’énorme masse documentaire à brasser, dans des domaines multiples et désormais souvent séparés, comme la littérature, la philosophie et la science, que si peu d’entre nous maîtrisons dans toute leur étendue. Certes, l’on peut encore faire confiance, pour se laisser guider, à l’ouvrage princeps, le « Wilson », base de travail exhaustive et fidèle. Mais il s’agissait ici de mettre toutes ses connaissances à jour en dépouillant des bibliographies récentes, de manière à donner des éclairages nouveaux aux faits et aux œuvres relues, récemment étudiées ou défrichées, tant il est vrai que le champ diderotien offre - et c’est certes un bonheur - l’impression d’une chantier neuf, ou en perpétuelle réouverture. Il semble que Gerhardt Stenger ait largement évité ces deux écueils : trouver un ton juste et affable, cerner au plus près le bonhomme Diderot, sans pose, sans caricature, avec humanité. S’informer d’autre part, au plus près des découvertes récentes, tout en injectant dans l’ouvrage quantité d’analyses personnelles et pénétrantes de chacune des œuvres du philosophe. Cette méthode de la « biographie intellectuelle » permet au lecteur de suivre une chronologie éclairante et fidèle, ponctuées de pauses philosophiques étudiant, au sein du parcours du philosophe lui-même, ses ouvrages majeurs en profondeur. Ceux qui souffriront de la longueur de ces pauses intellectuelles pourront passer leur chemin, et rallier l’étape suivante. Marquées d’un didactisme que nous avons pour notre part fort apprécié, mais que d’aucuns trouveront appuyé (l’ouvrage est parfaitement adapté à un lectorat d’étudiants, presque un manuel en diderotie), ces analyses pourront ça et là paraître redondantes. Elles n’en sont que plus efficaces, écrites dans un langage clair, parfaitement maîtrisé, rejetant soigneusement le jargon. Gerhardt Stenger se serait-il inspiré du langage des femmes, dont selon Diderot lui-même, le « ramage simple, facile, uni, ôtera[it] aux idées l’air abstrait, hérissé et pédantesque que notre savoir scolastique leur donne plus ou moins » (à Sophie Volland, 9 septembre 1762)... Le parti-pris intellectuel de la biographie repose sur l’étude d’un itinéraire quadri-partite : Naissance d’un philosophe ; L’Encyclopédiste ; Le Bon, le Vrai et le Beau ; enfin Le Bourgeois révolutionnaire. Elle décrit la formation intellectuelle d’un philosophe marqué par des choix de vie tranchés exprimant la rébellion du sujet (études, bohème parisienne, premiers essais littéraires), mais aussi par les coups forts du destin (brouille avec le père, mariage atypique, décès des enfants ; rencontres décisives, philosophiques et amoureuses). Elle fait ensuite le choix d’un parcours essentiellement informé par l’encyclopédisme comme vocation assumée, intellectuelle, idéologique et politique. Puis elle examine la façon dont l’œuvre s’infléchit esthétiquement, montrant avec beaucoup de sub- tilité comment les Salons forment l’exutoire d’une carrière encyclopédique par trop monolithique, d’une œuvre parfois insatisfaisante (le théâtre), et peut-être d’une affectivité bridée : les Salons jaillissent, surtout entre 1765 et 1767, là où les lettres à Sophie se tarissent. Telle une variable d’ajustement de la création littéraire, ils se tairont ou se tariront à leur tour quand l’œuvre personnelle aura pris son essor : « la pauvreté des derniers Salons va de pair avec l’explosion créatrice dans le domaine de la philosophie et de la fiction romanesque » (p. 694), avec Jacques le Fataliste notamment. La dernière partie de l’ouvrage examine précisément ce jaillissement tardif, lorsque le philosophe aux yeux enfin dessillés par la réalité, peut- être celle entrevue lord du voyage à Bourbonne, s’affirme désormais, tel Voltaire devant l’affaire Calas, comme un homme d’action, un penseur engagé. Un ethos puis une véritable praxis se dégageront des derniers ouvrages ou collaborations : Le Rêve de d’Alembert, Dialogues sur le commerce des blés, Histoire des deux Indes, ainsi que les textes écrits pour Catherine II, sont autant de tentatives pour répondre à des questions traitant de l’humanité et de ses choix vitaux. Certains resteront marqués au coin de la méditation, de la rêverie intellectuelle ou de l’ironie (Supplément au voyage de Bougainville, Le Neveu de Rameau, Entretien d’un philosophe avec la Maréchale de***), mais la fermentation qu’ils engendrent est de nature à ne plus laisser son époque - ou sa postérité - en repos. Et cela, même si l’opus tardif (l’Essai sur la vie de Sénèque et ses métamorphoses) indique assez clairement la lucidité du philosophe à l’égard de sa capacité à infléchir de façon décisive le cours du réel. Cette quadri-partition, lisible et convaincante au regard du découpage plus flou du Wilson (Les Années d’apprentissage/L’Appel à la postérité), et de la fragmentation extrême du Trousson (23 chapitres non regroupés), apporte corps et cohérence à une vie intellectuelle dont la principale affaire fut peut-être de s’en trouver, mais dont l’extrême intel- ligence fut d’y renoncer. Seul peut-être l’opus déjà paru de Pierre Chartier (Vies de Diderot, Paris, Hermann, 2012, 3 volumes), d’une dimension double, certes, sera à même d’épouser au plus près cet itinéraire de la pensée dans toute sa vérité et son organicité - et partant, dans sa dimension aléatoire, erratique, voire dans sa fantaisie calculée. Mais sa valeur idéologique et politique n’en apparaît aussi que mieux ici, se découpant en ombres chinoises bien visibles sur les pans de murs de cette « exposition vivante » que nous propose Gerhardt Stenger. On regrettera seulement - car il faut bien valider d’un regret la colossale entreprise remise ici sur le métier, à l’occasion de l’année Diderot ¢ l’absence de références devenues canoniques : celle à Jean Starobinski (d’une manière générale, pour tout ce qui relève du langage chez Diderot) ; à Pierre Chartier (théories du persiflage et de la mystification) ; à Pierre Frantz, sur le Théâtre, et à Marie Leca-Tsiomis, trop peu citée en ce qui concerne le chantier encyclopédique. Quelques points litigieux mais véniels : p. 19 et 490, le nombre d’enfants nés au foyer Diderot varie de 4 à 5 (ils seront en réalité plus nombreux) ; le père de Diderot est déclaré « odieux » tel qu’il apparaît dans l’Entretien un père avec ses enfants, texte où le personnage est marqué d’une intelligence certes ambiguë mais attachante (p. 19). Sur le rôle exact de Diderot, en prison, conseillant Rousseau sur le parti à prendre dans la rédaction de son futur Discours sur les sciences et les arts (p. 125), la prudence est certes de mise, mais c’est aussi, on le regrettera, le parti de l’auteur. Le parallèle effectué entre le baron d’Holbach et le personnage de Wolmar, dans La Nouvelle Héloïse, est peu convaincant (p. 145). De même l’idée (p. 180), peu vraisemblable que Sophie ait pu lire, grâce à Diderot, Richardson en anglais, quand lui-même l’a découvert et apprécié dans la traduction française du Genevois Monod (voir l’article de Shelley Charles, RDE no45, 2010). Enfin l’on aura noté l’étonnant « manège à trois », proposé à Diderot par Mme de Maux, plus proche peut-être du ménage à trois, mais il est vrai fort évocateur et poétique (p. 497)... Cette liste un peu mesquine ne doit pas occulter de véritables réussites littéraires comme les pages très fermes consacrées aux Salons, ou plus loin, personnelles et fort originales, celles qui étudient le Neveu de Rameau (p. 578-582). On sera aussi particulièrement reconnaissant à l’auteur pour ses analyses philosophiques d’œuvres moins connues, sur lesquelles il ouvre de véritables perspectives : ainsi la Réfutation d’Helvétius, (p. 589- 606), suivie des « Observations sur Hemsterhuis », publiées en regard de la Lettre sur l’Homme et ses rapports (du même Hemsterhuis) par Georges May (p. 607-614, chapitre « Le Matérialisme en question »). D’une façon générale, et concernant la conception même de l’œuvre diderotienne, l’idée, reprise à Jacques Proust, est suivie avec passion, qu’ « En mettant en évidence la désagrégation du langage philosophique traditionnel, Diderot a donné accès à un nouveau type de connaissance, à une forme de logique qui comprend le décousu, le rire et le rêve » (p. 115). Ou pour le dire plus simplement avec Éric-Emmanuel Schmitt : « si Diderot écrit autrement la philosophie, c’est qu’il écrit une autre philosophie ».

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